Naissance d'un constructeur automobile français On attaque avec un mot, il faut des pages pour se défendre. J.J. Rousseau La création de Matford marque la naissance d'un nouveau constructeur français dans une époque qui ne prête guère à l'optimisme mais on en retient cependant souvent le "marché de dupes" qui, "contrairement aux accords signés", aurait conduit en quelques mois à la disparition de la marque alsacienne Mathis. Derrière ce jugement rapide, dans lequel le retrait de Ford de l'hexagone en 1954 n'est sans doute pas étranger, il y une réalité sur laquelle le rappel des faits donne un éclairage bien différent. Deux constructeurs que tout oppose Maurice Dollfus, qui dirige Ford France (Ford-SAF) depuis 1930, est convaincu qu'il n'y a pas d'autre possibilité pour Ford en France que d'y construire des modèles spécifiques et non plus d'assembler des modèles étrangers. En 1933, face à sa maison mère, Dollfus a pour lui les taxes à l'importation qui frappent de plus en plus lourdement les voitures comme les pièces détachées et limitent la distribution des Ford en France. Il a aussi l'échec commercial en France de la trop anglaise d'apparence Y 6CV lancée en 1932 qui a sauvé Ford UK. Les pertes de Ford-SAF sont de 257.000 $ (6,5 millions de Francs) en 1932 et 1.269.000 $ (26 millions de Francs) en 1933. Mathis, 4e constructeur français, vend plus de voitures que Ford-SAF en 1933. Sa cause est finalement entendue et afin de gagner du temps et de l'argent (Ford USA demeure sceptique et finira d'ailleurs par jeter l'éponge ...), au lieu de construire une usine, Ford-SAF va s'associer avec un constructeur local, l'alsacien Mathis, exception notable dans l'histoire du groupe. En Grande-Bretagne, Ford a ouvert sa propre usine en 1912 et 53.000 véhicules (voitures et camions) y sont produits en 1934. En Allemagne, Ford a sa propre usine depuis 1931 et 10.000 véhicules y sont produits en 1934. L'association avec Mathis permet en premier lieu à Ford de prendre une apparence française. Le potentiel de Strasboug avec sa fonderie permet d'apposer "Fabriqué en France" sur ses voitures, mais aussi peut-être de trouver dans les cartons de Mathis un 4 cylindres pour succéder à la Y. Pour autant, de la part d'un constructeur dont la tradition est mono modèle (la V-40 en 1933-34), il semble difficile d'imaginer qu'il s'intéresse, et le laisse croire, à la poursuite des multiples modèles de la gamme Mathis. Ce n'est pas son objectif. Ford est en premier lieu intéressé par l'usine de Mathis et très peu par ses modèles. Pour Dollfus dès août 1934, il est impossible à Ford d'améliorer l'EMY-4. Mathis se rend à Dearborn au siège de la Ford Motor Company en novembre 1933. Il connait la situation de son entreprise. Ambition commerciale démesurée et innovation technique lui coûtent très cher. L'acquisition des brevets (roues indépendantes Porsche, freins hydrauliques, ...) a imposé des investissements sans pour autant séduire la clientèle de la catégorie des véhicules "populaires". Surtout, la marque s'est dipersée dans une multiplication et un renouvellement des modèles qui déroute la clientèle. Les 6 et 8 cylindres se vendent à très peu d'exemplaires. Les résultats se dégradent de façon spectaculaire en 4 ans ; 14 millions de Francs de bénéfice en 1930, 4,5 en 1931, 3 en 1932, 1,5 en 1933, 4,5 millions de pertes en 1934 alors que l'ensemble de la gamme est vieillissant. Ses usines sont en surproduction. Le diagnostic est sans appel, d'importants investissements et un changement de stratégie sont indispensables pour sauver ce qui peut l'être. Mathis qui sait son entreprise en l'état condamnée accepte selon ses termes, de "s'identifier avec le sort de Ford en France", la production de ses propres voitures pouvant être arrêtée et son nom disparaître, selon un courrier adressé à Edsel Ford en 1934. (1) On le voit, la culture et la situation respective de Ford et de Mathis et leurs intentions à l'origine de Matford sont très différentes, mais elles se rejoignent et pour les deux partenaires, le temps presse. Où en sera Mathis dans quelques mois ? Sa situation qui s'aggrave attirera d'autres appétits, ceux de General Motors, l'éternel rival de Ford, par exemple ? Pour autant, Mathis ne semble guère en position de faire monter les enchères et d'imposer le maintien de ses modèles ou de son nom. Rien n'impose non plus à ce moment à Ford de le faire. L'exploitation conjointe des deux marques Après quelques mois de négociations, la société Matford est constituée en septembre 1934. La répartition du capital social de création de 20 millions de Francs reflète la situation de départ. Mathis détient 40% des parts, Ford-SAF, la holding française de Matford SA, 60%. La nouvelle société est incoporée au groupe Ford. Emile Mathis est Président du Conseil d'Administration, Maurice Dollfus Administrateur-Délégué et représentant de Ford -SAF. La formule choisie pour cette union des deux marques n'est cependant pas le rachat ni la fusion mais la location. L'objet social de Matford est "La prise en location similtanée des installations industrielles et des fonds de commerce des Sociétés Ford Société Anonyme Française et Mathis, et toutes opérations rendues possibles par l'exploitation, obligatoirement conjointe, de ces locations." (R.C. Seine 262.383 B) On trouve sans doute dans les termes d'exploitation obligatoirement conjointe, l'engagement de départ d'exploiter les deux marques l'une à côté de l'autre et dans la formule de la location l'obligation de les maintenir, ce qui sera fait dans un premier temps. En partie seulement d'ailleurs puisque la marque Ford disparait des calandres des Ford françaises dès 1935 ... Pour autant, jusqu'où va cet engagement ? Matford est une affaire rentable ... sans Mathis Plusieurs éléments vont venir modifier cette situation de départ. Ford rééquipée l'usine "la plus moderne d'Europe" afin d'y entreprendre la fabrication de ses nouveaux modèles V8, dont un "petit" modèle plus adapté à la France. Au delà de sa mise initiale plus importante dans Matford, Ford investit 35 millions de Francs que Mathis est supposé financer à proportion de sa participation. Mathis refuse. Dollfus propose alors une nouvelle répartition des parts pour tenir compte des investissements de Ford. Mathis refuse à nouveau. Finalement, en mai 1935 Matford porte son capital à 60 millions de Francs et émet 40.000 actions de 1.000 Francs pour couvrir le paiement de Ford. La production de la V8-48 démarre au printemps, celle des Alsace à l'automne. A la fin de l'année, 6.709 V8 ont été fabriqués à Strasbourg. La hausse des ventes reflète en partie le redressement de l'économie mondiale. Les pertes sont ramenées à 401.000 $ (6 millions de Francs) . De son côté, Mathis poursuit la fabication de l'Emy-4, dont une version confidentielle à moteur Ford V8 et roues indépendantes, sous son nom sans investissement complémentaire, alors que Matford lui verse un loyer conséquent, mais aussi sans l'outillage et le savoir faire de Ford. Mathis se plaint qu'on le pousse dehors. La production atteint 2.983 unités avec 9 millions de Francs de pertes ... selon Matford. La production pour 1935 atteint donc au total 9.692 unités pour la marque Matford. Malgré les protestations de Mathis, Matford n'entrevoyant pas de possibilité à partir de ces modèles, la production des Mathis est arrêtée fin 1935, hypothèse rappelons-le programmée dès l'origine par Mathis lui-même. On peut néanmoins se demander ici pourquoi on ne met pas la main à la poche pour aider Mathis et si Ford peut avoir causé cette situation en ne dévelopant que ses propres modèles, en écartant les modèles Mathis au profit de la petite V-8 en particulier (la production des Mathis s'arrête fin 1935 au moment où la petite V-8 entre en production), ou encore si Ford a voulu écarter Mathis lui-même. |
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